Le mois d’avril est le mois de l’autisme. Pour l’occasion, nous avions envie, chez MTH Coaching, de donner la parole à une personne concernée pour s’exprimer sur le sujet, car elle-même porteuse d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA), Clémence Guiot. Clémence a la particularité de travailler avec nous depuis quelques mois sur des chantiers communication digitale et SEO. Et vous savez quoi ? Ça se passe très bien ! Elle a accepté de répondre à nos questions sur son parcours professionnel pour nous donner quelques pistes de réflexion pour manager un salarié autiste en entreprise et améliorer l’inclusion des personnes en situation de handicap.
Clémence, peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours professionnel ?
Bonjour, je m’appelle Clémence Guiot et je suis consultante en communication digitale. J’ai eu un parcours scolaire et professionnel un peu atypique (mais de nos jours, quel parcours est linéaire ?).
Après des études de lettres, je me suis dirigée vers l’assurance. J’ai travaillé plusieurs années dans deux grands groupes assurantiels. J’y ai fait pas mal de choses : de l’événementiel, de la gestion de projet, de la communication, des projets avec des startups, de la RSE. Cela a été très riche. Malheureusement, mon handicap rendait mon quotidien professionnel difficile. J’ai été diagnostiquée sur le tard, à 27 ans. J’ai ensuite décidé de monter ma société pour pouvoir travailler de chez moi.
Qu’as-tu apprécié à l’époque où tu étais salariée ?
À titre personnel, j’ai vraiment trouvé le secteur de l’assurance particulièrement riche et stimulant, bien loin des préjugés habituels. Je travaillais au sein de structures orientées assurance de personnes, prévoyance et protection sociale, ce qui sont les domaines assurantiels que je préfère.
Mes missions étaient challengeantes. J’ai également eu la chance d’avoir de bonnes relations avec ma manager. À l’époque, je n’étais pas diagnostiquée (je ne l’ai pas été durant l’enfance, car mes manifestations autistiques sont plutôt légères, et j’ai eu un parcours scolaire réussi), mais ma manager sentait que je fonctionnais différemment.
Implicitement, nous avons trouvé un arrangement et fait chacune des concessions. Cette manager me laissait beaucoup d’autonomie. Elle était également plutôt introvertie, dans l’analyse et le pragmatisme, tout comme moi, ce qui facilitait les échanges.
Enfin, j’avais un bureau individuel, ce qui m’a permis de tenir les premières années, même si je restais en surcompensation par rapport à mon handicap. J’étais très fatiguée et angoissée. Je faisais souvent des attaques de panique et des tachycardies sur mon lieu de travail. J’essayais de cacher tous ces symptômes au mieux.
Qu’est-ce qui t’a manqué de la part de tes managers ? De quoi aurais-tu eu besoin ?
J’aurais aimé avoir mon diagnostic (et ma RQTH : reconnaissance en qualité de travailleur handicapé) plus tôt pour pouvoir verbaliser mes difficultés et demander les aménagements nécessaires pour travailler dans de bonnes conditions. J’aurais alors peut-être pu éviter les missions qui dégradaient ma santé mentale (comme les salons professionnels en présentiel).
À l’époque, quand j’ai commencé à travailler, en 2018, le télétravail n’était pas généralisé. Il fallait un an d’ancienneté pour en bénéficier un jour par semaine au maximum, ce qui n’était pas assez pour moi compte tenu de mes difficultés et de mon anxiété sociale.
Mes problèmes se sont aggravés lorsque l’organisation de l’entreprise a changé pour diverses raisons. Le siège a été rénové, les cloisons abattues pour faire des plateaux open spaces. Parallèlement, certaines activités ont été modifiées. J’ai changé de service et de manager pour être mise sur un poste en lien avec la RSE (Responsabilité Sociétale d’Entreprise).
En plus d’un mode de management qui ne me convenait pas (basé sur l’oral, le relationnel et parfois des ordres formulés de manière implicite), les facteurs de risques psychosociaux se sont empilés un à un : stress, pas assez d’ETP pour le travail à réaliser, dossiers à rattraper suite à des années de retard (le poste n’était plus pourvu depuis des années), réunions constantes (en moyenne 15 par semaine).
Le pire pour moi a été de sentir que mon manager était agacé par mes difficultés relationnelles et qu’aucun dialogue n’était possible entre nous. J’avais souvent des réflexions sur le fait que je ferais mieux de démissionner… J’ai parlé de mes difficultés à supporter autant de réunions. On m’a finalement doublé puis triplé le nombre de réunions, pour atteindre les moyennes mentionnées auparavant.
J’avais peur pour mon poste et je n’osais pas parler de ma démarche de diagnostic d’autisme en cours ni de mes problèmes de santé mentale (j’ai des troubles anxieux invalidants). Dans ces conditions, mon état mental s’est dégradé rapidement.
Pour résumer, je pense que la perte de confiance envers sa hiérarchie et son entreprise sont ce qui peut arriver de pire à un salarié. Après une telle trahison, il n’y a plus de retour arrière possible. C’est peut-être ce qui explique l’attrait actuel pour le freelancing et l’entrepreneuriat aux Etats-Unis et en France.
Il faut à tout prix éviter cela dans les entreprises. Et, pas de secret : le management de proximité y est pour beaucoup, lui-même influencé par la culture d’entreprise.
D’après toi, quels sont les freins rencontrés par les personnes autistes en entreprise ?
Déjà, de manière générale, le grand public ne connaît pas (bien) l’autisme et en a une vision caricaturale : on imagine soit un autiste non verbal interné qui passe sa journée à s’automutiler, soit un geek génial imbu de lui-même, avec une mémoire à la limite du surnaturel, qui finit par créer Tesla ou Apple. Entre ces extrêmes, il n’y a rien. Le désert.
Il faut donc commencer par expliquer aux collaborateurs et aux managers qui recrutent un salarié autiste ce qu’est l’autisme, même sommairement, pour préparer les gens sur place aux forces et faiblesses de ce type de profils, qu’ils soient autistes de haut niveau ou autistes asperger.
Ensuite, l’un des freins spécifiques au monde de l’entreprise est, selon moi, la difficulté qu’ont encore les entreprises “classiques” (PME et grands groupes) à adapter les conditions de travail au salarié en situation de handicap. La flexibilité est mal vue. On cherche à mettre un cadre fixe autour des salariés, avec des horaires de travail imposés, une limitation des jours de télétravail et de congés, et on restreint l’accès aux temps partiels.
Je pense que les salariés de demain, et pas juste les salariés autistes, voudront modifier leur activité professionnelle en fonction de certains événements de vie (naissance d’un enfant, décès, statut de proche aidant, etc.). Ils demanderont voire exigeront sur les métiers en tension cette liberté et cette flexibilité.
J’ai évidemment conscience qu’une telle flexibilité est difficile à mettre en place partout, mais j’ai la conviction que cette flexibilité est la condition sine qua none pour que des profils atypiques et/ou en situation de handicap puissent garder puis maintenir un emploi. Nos spécificités doivent être prises en compte pour pouvoir nous épanouir sur notre lieu de travail !
En entreprise, pour une personne autiste, les interactions sociales s’avèrent complexes : les ordres et consignes parfois donnés implicitement. On part du principe que le salarié connaît les codes sociaux et les applique, ce qui ne va pas de soi pour une personne autiste, même avec syndrome d’asperger ou un autisme de haut niveau, qualifiés souvent de “formes légères” d’autisme. La communication peut être compliquée entre le salarié autiste et son manager, chacun trouvant le comportement et les agissements de l’autre illogiques. En découlent des conflits dus, d’abord, à une mauvaise communication ou interprétation. Cela peut se régler !
Quant aux entretiens d’embauche, il faudrait là aussi en modifier la trame, pour faciliter l’insertion des salariés autistes. Ces personnes ne franchissent pas forcément la barrière, car elles ne comprennent pas les réponses attendues aux questions posées par les recruteurs.
Je ne parle ici évidemment pas de la discrimination à l’embauche, si fréquente…
Quels seraient tes conseils aux entreprises et à leurs managers pour rendre le quotidien d’un travailleur autiste plus agréable ?
L’autisme est un spectre : même si les symptômes sont les mêmes d’une personne autiste à l’autre, ils varient dans leur intensité selon les individus.
Je conseille donc d’organiser une réunion avec la direction des ressources humaines pour voir comment aménager le poste de travail. J’insiste ici sur la nécessité de laisser le salarié parler de ses besoins. Il existe des listes déjà créées qui récapitulent les points à questionner pour déterminer quels aménagements sont nécessaires pour le salarié autiste (par exemple celle de l’Association Phare). Cela va des lumières, causes d’hypersensibilités, au bureau individuel en passant par le télétravail, la manière de donner les consignes, etc.
De manière générale, les temps de travail raccourcis, la flexibilité des horaires, l’espace individuel et le télétravail élargi sont les principales mesures qui peuvent (ou devraient) être mises en place. Et pas de néons dans les bureaux, par pitié !
J’aimerais rappeler ici qu’il est très délicat de parler de son handicap et de réussir à évoquer ses difficultés en tant que personne handicapée. Il faut donc être mis en face d’un manager bienveillant, qui écoute et cherche réellement à créer un terrain d’entente entre le salarié à besoins particuliers et l’entreprise. Sans quoi la confiance ne sera pas présente et les problèmes de management et de communication vont apparaître.
Un dernier mot pour les recruteurs ou les entreprises qui hésitent à recruter une personne autiste ou plus généralement en situation de handicap ?
Toutes les personnes en situation de handicap que j’ai interviewées pour connaître leur parcours professionnel ont montré une capacité d’adaptation, d’apprentissage et d’agilité phénoménale. Je pense par exemple à Margaux, qui a appris seule à développer des sites internet.
À titre personnel, j’ai trois Master dans trois disciplines différentes (Lettres, Assurances et Marketing Digital). Le métier que je pratique aujourd’hui, je l’ai appris en grande majorité en autodidacte, en extrapolant à partir de mes anciennes expériences professionnelles : SEO, community management, copywriting, analyse de stratégies de communication, création de tunnels de vente… Je n’arrête pas d’apprendre.
Alors, chers recruteurs, lorsque vous hésitez à embaucher un salarié atypique… pensez à leur transdisciplinarité et leur capacité à se former en autodidacte. Ce sont des habiletés rares très recherchées par les entreprises… Mais ces dernières sont trop focalisées sur les limitations induites par le handicap pour voir les côtés positifs de ces profils dits atypiques. Pourtant, les études sont formelles : les salariés handicapés ne grèvent pas les performances et la productivité d’une entreprise, au contraire ! La source : cette étude.
Dans les bonnes conditions, je suis capable d’être extrêmement loyale envers une entreprise et de donner sans compter mon temps, ni mon engagement. Encore faut-il que l’entreprise me fasse confiance et me laisse faire preuve d’initiatives. Ce sont des qualités qu’on retrouve généralement chez les autistes : ils sont passionnés, parfois un peu brut de décoffrage, analytiques, précis et méthodiques. Ils restent fidèles à leurs idéaux.
Je suis sûre que les profils autistiques qu’on boude aujourd’hui seront plébiscités demain vu la généralisation du télétravail et le fait que l’organisation des entreprises tend vers plus d’horizontalité. Un bel avenir attend les salariés autistes.
Pour la contacter : écrivez lui sur LinkedIn.
Crédits photo : Eliza Vrinat